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02/12/2020

Devoir sur Proust

L’œuvre  de Proust est essentiellement fondée sur le processus de la mémoire. Le titre donné à la suite des sept romans qui constituent son ensemble narratif est à cet égard très explicite : À la recherche du temps perdu. Il s’agit d’une reconstitution romanesque à partir de son autobiographie.

L’expérience de la mémoire est donc au centre de cette construction littéraire. Dans les premières lignes du cinquième tome de cet ensemble, intitulé La Prisonnière, Marcel Proust raconte comment une odeur le ramène à son enfance. Nous nous demanderons quelle connaissance du moi résulte de cette expérience. Quelle est la nature de ce moi retrouvé ? Comment s’opère cette reconstruction ?

 

L’intérêt de cet extrait est qu’il illustre parfaitement la force de la mémoire, et en particulier de la mémoire dite « involontaire », capable de retrouver ce fameux « temps perdu » dont l’auteur fait sa quête littéraire.

Cette expérience a presque quelque chose de « magique » (l 3) adjectif que n’hésite pas à utiliser Proust pour qualifier cette faculté d’une simple odeur, celle de quelques brindilles pour allumer le feu de cheminée, à transporter immédiatement l’auteur dans une autre époque et dans un autre lieu. Le moi adulte et parisien retrouve le moi enfant à Combray. L’effet est si puissant que Proust avoue être « aussi joyeux, restant dans ma chambre » (l 5) que s’il partait à nouveau « en promenade du côté de Méséglise  » (l 6-7).

Et à la soudaineté de l’effet produit, dès que la servante vient jeter ces brindilles, s’ajoute sa profondeur. Ce temps retrouvé, ce « morceau du passé » (l 24) c’est bien le moi retrouvé, Proust allant jusqu’à parler d’une « substitution de personne »(l 22). Ce moi enfant c’est un moi « tout entier »(l 19). Proust, dans son appartement parisien, adulte affaibli et malade, redevient vraiment, pleinement, « l’enfant, l’adolescent »(l 20) par cette simple « modification d’odeurs » (l 22).

A la fin de cet extrait, Proust utilise une métaphore qui n’est pas seulement poétique. Cette odeur, c’est « une banquise invisible détachée d’un hiver ancien » (l 24-25) Cette image permet de compléter le récit de cette expérience.  On ne peut dire, grammaticalement, si l’adjectif « « striée » (l 26) se rapporte à cette banquise où à la « chambre » (l 25). Mais quoi qu’il en soit, Proust confirme la puissance de ces sensations, « tel parfum, telle lueur » (l 26), qui sont autant « d’années différentes » (l 27) où il se retrouve « replongé, envahi ». Autant de stries qui sont autant de moi différents, vestiges retrouvé du passé qui permettent une reconstruction du moi narrateur.

 

Mais ce moi retrouvé, reconnu, n’est-il pas plutôt une reconstruction ? Proust est un écrivain, pas un psychanalyste. Et toute entreprise littéraire est un projet de bâtisseur. On a d’ailleurs parfois parlé à propos de l’œuvre de Proust, d’une sorte de « cathédrale du temps » (Jean-Yves Tadié).

Comme il le fait assez souvent, Proust insère une réflexion entre deux séquences narratives. Ici, dans l’incipit de ce cinquième tome, il rappelle, au présent de vérité générale, le cas particulier du travail de mémoire chez ceux qui souffrent de « la tyrannie du mal physique » (l 11). Chez ceux là, en effet, le plaisir du souvenir est encore « plus vif » (l 10). Rappelons ici que Proust était lui-même condamné à garder le lit à cause de sa maladie et que c’est dans ces conditions qu’il a écrit son œuvre. Peut-on alors penser que cette réminiscence, ici celle de l’odeur des brindilles,  soit plus une construction littéraire qu’un véritable transport dans le passé ? Proust, tiraillé par son mal physique, n’exagère-t-il pas la réalité de ses retrouvailles avec ce moi de l’enfance et son « allégresse » (l 28) ?

On peut donc se demander, dans cette reconnaissance du moi passé, quelle est la part de la mémoire et quelle est celle de l’écriture ? Certes, on ne peut pas douter de la réalité de l’expérience. Mais serait-elle la même sans l’intervention de l’écrivain qui trouve la « formule » de cette « magie ». Sans ses mots, sans son écriture,  peut-être l’expérience serait-elle très différente, n’aurait peut-être pas la même intensité. Il faut bien arriver à « identifier » (voir ligne 28) ces souvenirs, les faire revenir à la conscience pour leur donner une réalité dans le présent de l’auteur et dans l’intemporalité du lecteur.

La véritable magie est celle de l écriture plus encore que celle de la mémoire affective, comme en témoigne aussi, par exemple, le fameux épisode proustien de « la madeleine » (dans le tome 1 : Un amour de Swann), expérience similaire mais plus progressive qui montre comment Combray tout entier est reconstruit  dans une tasse de thé et par le simple goût d’une madeleine trempée dans la tisane...

 

La mémoire permet donc bien une connaissance du moi, ou plutôt d’une pluralité de moi inscrits dans le passé. Mais cette mémoire doit trouver son véhicule pour revenir jusqu’au moi du présent. Dans l’autobiographie, même si elle est romancée comme ici dans l’œuvre de Proust, l’écriture permet à ce moi de se reconstituer, même si cela reste toujours fragmenté et discontinu. L’expérience de la mémoire est tout autant une expérience de l’écriture. C’est avec cet objet littéraire que Proust a bâti sa cathédrale éternelle, comme d’autres l’ont fait en construisant des pyramides…