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20/06/2019

Correction BAC Philo 2019

Sujet ES.

La morale est-elle la meilleure des politiques ?

 

1) La politique n’est pas une morale : elle ne peut donc pas « être la meilleure des politiques ».

 

a) La politique est un besoin d’organisation de la cité pour faciliter le « vivre ensemble ». Elle nécessite des structures (et d’abord un Etat) , une hiérarchie, une répartition des pouvoirs (cf Montesquieu : « L’esprit des lois »)… Autant de domaines qui ne relèvent pas de la « morale » mais d’une capacité organisationnelle qui permet d’ordonner les échanges (économiques notamment), de fixer des règles (pouvoir législatif), d’arbitrer les litiges (pouvoir judiciaire), et de revendiquer si nécessaire le recours à une « violence légitime » (Weber) pour faire respecter cet ordre.

b) La politique s'effectue dans le cadre d'un « contrat » entre ceux à qui on confie un pouvoir et ceux qui abdiquent une part de leur liberté individuelle pour permettre une liberté « commune » (conventionnelle). C’est le « contrat social » théorisé par Rousseau, et qui justifie la mise en place d’un Etat. Pas d’autre morale ici que le respect de ce contrat qui engage les deux parties au nom d’un bien commun. Encore moins de morale dans le « Léviathan » de Hobbes qui justifie le rôle d’un Etat fort par le besoin d’ordre et par l’état naturel des hommes qui est « la guerre de tous contre tous ». Ce n’est donc pas la morale qui ferait une politique puisque les hommes n’ont pas de morale naturelle...

c) La politique est une lutte pour le pouvoir… Il n’y a pas de politique sans pouvoir (sinon en pensant une véritable « anarchie », qui semble utopique). Ce pouvoir fait l’objet de luttes incessantes entre des individus (ou partis, clans, etc…) qui s’embarrassent rarement d’une pensée morale. L’histoire des Etats est balisée par ces guerres de pouvoir (cf la littérature, le cinéma… de Antigone à Hamlet ou à… Game of Thrones !). La guerre (sous une forme ou une autre) semble être l’état naturel de la politique et la guerre est par définition anti-morale. Si la politique est une guerre elle n’a donc là encore rien à voir avec une morale. La « raison d’Etat » peut être très cruelle… Machiavel a théorisé cette vision de la politique dans ses conseils donnés au « Prince » : « Mieux vaut être craint qu’être aimé ». La meilleure des politiques serait donc la plus…machiavélique !

 

2) Mais peut-être la morale peut-elle participer à l’élaboration d’une politique…

 

a) La politique, affaire commune, est faite par des individus qui ont une morale. Chacun de ces individus est porteur d’une « morale » c’est à dire d’une manière d’être, de concevoir les rapports avec autrui, de ses fixe des règles, des priorités. Il n’y a pas de raison que cette morale individuelle n’ait pas de répercussion sur les propositions et décisions collectives. La probité et les choix moraux d’une personnalité peuvent influencer considérablement une politique (cf Gandhi, Mandela…).

b) La politique est souvent confrontée à des questions éthiques. De fait, de nombreuses décisions politiques doivent être prises à propos de cas qui ne relèvent pas seulement d’une « organisation » ou d’un « ordre » mais bien d’une « morale » qui interfère avec le champ législatif et judiciaire. Ce sont des « sujets de société » comme la peine de mort, l’avortement, la mariage pour tous, la bioéthique et les questions de procréation assistée, l’euthanasie etc… Cette morale n’est pas une politique mais participe à la politique sous la forme de débats cherchant à définir une « éthique » c’est à dire une morale collective pour l’inscrire dans les lois. Cette éthique, pour autant, n’est pas une politique non plus.

c) Sans morale il n’y a plus de politique… ou plutôt de « démocratie ». Quelle que soit le degré de cette moralité, chez le peuple ou chez les gouvernants, il n’y a de démocratie (qui est un régime politique parmi d’autres) que s’il y a un minimum de morale. Russel rappelle que la démocratie c’est quand on « continue de discuter » : encore faut-il que la pouvoir le permette. La morale est une manière d’organiser la liberté publique. Si le conflit est au coeur de toute politique, la morale politique consiste (a minima) à permettre le débat pour en parler. Une politique sans morale est nécessairement tyrannique (les exemples historiques sont nombreux mais voir surtout Caligula de Camus pour lequel « tout est permis »…).

 

3) La morale peut-elle rendre meilleure la politique ?

 

a) La politique, par définition amorale, ne doit pas pas oublier le besoin de morale. Si on peut admettre une forme d’immoralisme dans le combat politique, on peut aussi exiger un rappel des règles morales élémentaires à ceux qui ont passé un contrat avec le peuple. C’est en ce sens que certaines « affaires » (cf Fillon, Cahuzac etc…) relèvent bien de la morale autant que des lois et que leur « jugement » est autant l’affaire de l’opinion publique (même parfois injuste) que de la justice.

 b) Mais le peuple est-il moral ? Mais cette liaison morale-politique renvoie chacun à sa propre morale. Si la démocratie confie bien (au moins théoriquement) le pouvoir du peuple, une politique morale réclame un peuple moral. Voilà pourquoi Platon imaginait une « République de philosophes », de « sages ». Projet qui se heurtait aux sophistes, « faux sages » qui cherchaient à avoir raison en dépit de toute opinion. Voilà pourquoi la Platon désespérait de la politique et de la « doxa » (opinion commune) et d’une « République » qui condamna le plus sage des sages : Socrate.

 c) Et quelle serait cette morale politique ? Si l’on doit donc admettre que la politique doit composer avec une morale, il faudrait pouvoir en formuler les grandes lignes… ce qui est très difficile. L’inégalité est-elle fondamentalement immorale ? Quel usage de la force dépasse les limites d’une morale ? etc… Les mêmes questions morales peuvent se poser, avec peut-être encore plus d’acuité, sur les systèmes économiques qui constituent de facto une grande part du « travail » politique et qui détermine une grande part de la qualité de vie des individus dans une société. André Comte-Sponville ose par exemple se demander : « Le capitalisme est-il moral ? » (2004). L’enjeu économique, comme l’enjeu politique, est aussi un enjeu moral. Mais qui va déterminer cette morale ? « Il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes » écrit Rousseau pour montrer la difficulté de fonder une « justice juste » (« veri juris » dit Pascal). Si l’on renonce (comme Rousseau) à l’un ou l’autre de ces « dieux « transcendants, quels seront les hommes qui donneront la morale aux hommes ? A qui faire confiance ? C’est bien ce déficit de « confiance » morale qui mine aujourd’hui nos démocraties modernes…

 

Conclusion :

La politique a ses raisons que la morale ignore. Il faut probablement accepter le principe de réalité auquel la politique se confronte chaque jour. Mais la morale n’est pas un simple idéal. Elle peut s’incarner aussi dans certaines décisions et pratiques politiques.

La morale n’est pas la meilleure des politiques mais il ne saurait y avoir de politique sans morale. On retrouve régulièrement dans les programmes électoraux la notion de « moralisation de la vie publique », thème souvent rapidement occulté par d’autres préoccupations plus urgentes semble-t-il… Il reste donc encore (vaste projet !) à formuler clairement les bases de cette « morale commune » qui manque cruellement à nos démocraties et qui doit engager individus et collectivité. C’est une étape trop souvent ignorée du « contrat social ». Ce n’est qu’à ce prix que l’on restaurera les fondations d’une communauté de vie et de destin, c’est à dire, enfin, une vraie politique.