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30/09/2020

HLP. 30 septembre. Devoir en classe.

Pensez-vous que la littérature est un moyen de mieux se connaître ?

 

"Connais-toi toi même". Cette célèbre formule était gravée au fronton du temple apollinien de Delphes dans l'Antiquité grecque. Socrate reprend cette injonction pour inciter chacun à  "accoucher" après un travail (le dialogue socratique) qui était l'essence même de sa pratique philosophique. Ainsi, dès son origine, la philosophie se donne pour objectif cette "con-naissance" de soi. En est-il de même pour la littérature ? Récit fictif et travail sur le langage, l'art verbal qu'est la littérature semble moins attachée à cette fonction. Elle est pourtant bien un moyen de partir en quête de ce "moi" qui nous échappe toujours et nous gouverne pourtant. 

 

 

  La plupart des amateurs de littérature, en particulier lecteurs(trices) de romans ou de nouvelles, prétendent lire pour "s'évader". C'est en tout cas la réponse la plus fréquente que  font notamment les adolescent(e)s. Une grande partie de la littérature propose en effet des récits qui nous transportent ailleurs ou dans une autre époque. Qui n'a pas été emporté par des récits d'aventures, des romans historiques, des sagas légendaires ou mythologiques ? "L'Iliade" et "L'Odyssée", premiers grands textes de la culture européenne, sont de vastes récits épiques, lyriques, tragiques, dans lesquels on suit des personnages, héros ou dieux, bien éloignés de nous. Depuis ces deux  récits originels, matriciels, tout un pan de la littérature a perpétué cette lignée de textes "évasion". Les romantiques eux-mêmes, pourtant centrés sur leur "moi" et l'exigence de son expression, nous ont fait voyager dans d'autres paysages (l'Amérique dans Atala), d'autres époques (le XVIème siècle florentin et espagnol dans  Lorenzaccio et Hernani), ou des situations amoureuses peu ordinaires (les deux romans épistolaires de Rousseau et Goethe : La nouvelle Héloïse, Les souffrances du jeune Werther). L'essence de la littérature ne semblerait donc pas répondre fondamentalement à cette volonté de "connaissance de soi".

  Peut-on pour autant faire de  la littérature un de ces "divertissements" dont parle Pascal pour définir toutes les pratiques humaines qui l'éloignent de lui-même et de la conscience de sa condition de mortel ? Ce serait faire de la littérature une simple échappatoire et négliger sa façon de nous ramener au contraire à notre condition humaine. Si l'on peut admettre que certains récits notamment relèvent du pur divertissement, il faut alors ne pas les inclure dans l'art littéraire. Dans une librairie, il y a beaucoup de livres, et parfois peu de littérature... 

 

 

   A cette littérature "évasion" l'écrivain et dramaturge Jean Cocteau avait coutume d'opposer ce qu'il nommait une littérature "invasion". La littérature, même si  elle ne parle pas directement de nous, a en effet cette capacité à nous "envahir" d'une manière ou d'une autre : trouble, émotion, interrogation... Et  cette invasion est une expérience qui peut aussi atteindre le "moi" par une variété d'impressions. Ces "impressions", parce qu'elles ne  sont pas constantes ni invariables, le philosophe David  Hume prétend dans  son Traité de la nature humaine qu'elles ne peuvent pas faire naître l'idée du "moi". Pourtant il y en bien "en moi" quelque chose que la littérature peut bouleverser. Il y a des vies que la littérature a transformées pour toujours. Nous ne sommes plus tout à fait les mêmes après avoir découvert le sentiment de l'absurde chez Beckett ou Camus. Et que cela se fasse par le truchement d'une fiction et de personnages ne change rien à cette aptitude de la littérature à pouvoir nous remettre en question, à questionner notre "moi", même s'il reste toujours en partie insaisissable. Le théâtre grec de l'Antiquité opérait déjà cette fonction cathartique par laquelle le spectateur vivait par procuration des expériences tragiques  qui le renvoyaient  à sa condition d'homme. C'était bien, dans le cadre de cette société polythéiste, une "connaissance".

  Dans le champ très général de cette littérature, peut-être doit-on alors repérer des genres et des courants qui participent plus que d'autres à cette "connaissance". L'autobiographie est souvent motivée par la volonté de mieux se connaître. C'est ainsi par exemple que Montaigne présente le projet de ses Essais auXVIème siècle, Rousseau celui de ses Confessions au XVIIème, ou Michel Leiris son oeuvre L'âge d'homme au XXème siècle. Mais par un effet "miroir"  le lecteur de ces constructions autobiographiques se retrouve souvent dans la sensibilité de l'autobiographe et l'expression de son "moi" rejoint celle de l'auteur. Peu importe l'époque. Le témoignage d'une vie d'homme transcende l'écart historique et les fervents lecteurs de Montaigne, par exemple, le présentent souvent comme un "ami", voire un "frère", comme le rappelaient encore récemment les penseurs André Comte-Sponville ou Michel Onfray qui n'ont jamais cessé de lire et relire les Essais, œuvre inclassable que l’on retrouve aussi bien dans les anthologies littéraires que dans la bibliothèque des philosophes.

  La poésie, parce qu'elle est souvent l'expression directe d'un "moi", peut aussi proposer ce "miroir" dans lequel nous pouvons nous reconnaître. Hugo le formule clairement dans sa préface  des Contemplations : « prenez donc ce miroir et regardez vous y », "quand je parle de moi je vous parle de vous". Le romantisme, plus particulièrement attaché à l'expression de sentiments personnels, a donné à la littérature cet ancrage sur le "moi" qui n'exclut pas le lecteur mais au contraire lui tend, là encore, un reflet dans lequel il peut deviner, sinon la réalité, au moins un reflet de sa sensibilité. 

 

 

Il faudrait, bien sûr, pour complêter  cette brève analyse, voir plus précisément quelle est la nature de cette connaissance, quelles sont les limites de cette expérience que constitue la lecture de la littérature. Il faudrait aussi envisager cette connaissance du point de vue de l'auteur. Dans son dernier roman intitulé Yoga, l'écrivain Emmanuel Carrère exprime parfois une sorte de désenchantement à se voir toujours obsédé par le besoin de mettre des mots sur ses expériences de vie. Il reprend la citation désabusée du Hamlet de Shakespeare : « Words, words, words ». Oui, on peut douter de la littérature. Elle n'est pas une fin en soi. Mais comment pourrait-on quitter ce continent où tant d'hommes et de femmes ont partagé des bribes de vie qui nous aident à voyager vers cet autre continent : le "moi".

 

 

 

 

 

Commentaires

très intéressante analyse, qui a le mérite de la densité et de l'ouverture aux questions.
Comme vous l'avez très joliment dit avec exactitude, en littérature le temps ne fait rien à l'affaire, on s'y retrouve.
Ce que vous exposez de ce qui nous touche personnellement dans nos lectures relève de l'universel, en tant qu'elle parle à tous malgré la diversité des cultures. On voit ça aussi avec les différents philosophes issus d'ailleurs.
Qu'en est-il alors des textes religieux? (quels qu'ils soient du moment qu'ils ont parcouru les temps)

Écrit par : Cécile Gl | 03/11/2020

Les commentaires sont fermés.